mercredi 17 juin 2015

DENTISTE : UN METIER DE MAL AIMÉS









Lorsque l’on s’engage dans la voie médicale, on aspire à beaucoup de choses.

1/ Tout d’abord on se sent réellement investi d’une mission de bien public, et c’est le cas.
En fonction de sa spécialité, il est envisageable de simplement soulager des douleurs diverses mais il est aussi possible de tout simplement sauver des vies. Quel destin !

2/ Ensuite, généralement, on fait la fierté de son entourage. Parents, famille, amis, tout le monde est conscient de la difficulté d’intégrer le corps médical. Les études sont longues, difficiles, exigeantes. Et nos proches éprouvent une certaine fierté à côtoyer une personne capable de tant de sacrifices pour le bien être d’autrui.
Cette reconnaissance est importante, gratifiante. Et à juste titre.
On est aimé, apprécié, admiré même.

3/ Enfin, on se dit que cette voie est aussi un bon moyen d’avoir une belle situation, de s’assurer un train de vie confortable et d’assurer à sa descendance de quoi prétendre à un parcours au moins aussi enviable que le notre.

Mais s’engager dans la médecine est aussi risqué.
Risqué parce qu’on est pas sûr d’y arriver.
Risqué aussi parce qu’on peut certes sauver des vies, mais une bonne petite erreur sur une table d’opération ou un diagnostic un peu moyen et hop, on a une mort sur la conscience. Et une famille entière sur le dos. Celle du défunt le plus souvent.

Risqué surtout parce qu’on ne choisit pas toujours sa spécialité et en fonction de son classement aux concours généraux, on ne se retrouve pas chirurgien ou cardiologue comme ça.

Alors on imagine bien que les derniers de la classe se retrouvent en proctologie ou en gériatrie.
Cela ne fait aucun doute.

Le type qui , sorti premier de sa promotion,  choisit proctologie est à enfermer direct ou à surveiller de très très près. Pourquoi ?

1/ Tout d’abord parce qu’on ne sauvera jamais de vies en tant que proctologue et que passer ses journées à soulager des douleurs liées à des poussées anarchiques d’hémorroïdes ne relève pas du paradis médical. Ce n’est pas non plus pour rien que Georges Clooney dans Urgences ou Dr House ne sont pas proctologues.
Quoique ça donnerait certainement un relief intéressant aux épisodes. Pas sûr que le Docteur Mamour de Grey’s Anatomy continuerait à déclencher chez toutes les petites internes ces émois délirants si à chaque fois qu’elles le voyaient en consultation il était, armé de ses gants Mapa, en pleine inspection de trous du cul. Ça casse quand même bien le mythe.

2/ Ensuite parce qu’il est peu probable que votre entourage et vos parents se vantent en société d’avoir un fils proctologue. Bien évidemment.
« Il fait quoi votre fils ? »
« Il est cardiologue, et le votre ? »
« Euhhhh… il est médecin aussi !!!! »

3/ Et enfin je ne suis pas sûr que ce type de spécialité soit extrêmement rémunératrice. En même temps , on en sait rien. Un type qui sort de sa Porsche avec son costume à 5000 Euros n’a pas forcément changé sa plaque d’immatriculation en « PROCTOS » pour afficher au grand jour sa réussite liée aux fouilles anales.
Le seul avantage, et il est léger, c’est que c’est le seul métier où vous pouvez arriver devant un technicien de chez Midas et lui dire : « ça va confrère ? ».

Il existe donc en médecine certaines spécialités peu recommandables, type proctologue donc, et d’autres en revanche extrêmement bien notées et qui vous permettent de remplir les 3 critères suscités (pour rappel : sauver des vies, susciter fierté de votre entourage, gagner largement sa vie) : cardiologue, cancérologue, hématologue, ophtalmologiste, gynécologue obstétricien, pédiatre, anesthésiste, chirurgien, psychiatre, etc… Tous ces métiers devant lesquels vous pourrez fréquemment entendre :
« c’est un éminent… »
Faites un essai :
« C’est un éminent cardiologue » : ça marche
« c’est un éminent proctologue » : ça marche pas.
C’est comme ça. Triste, injuste, mais comme ça.

Mais il y a dans le secteur médical un métier qu’il est difficile de situer.
Car à la fois il remplit les critères, et à la fois il ne les remplit pas.

C’est le dentiste.
« c’est un éminent dentiste » : ça marche…moyen. Mais ça passe, faut un peut jouer des coudes, mais ça passe.

Et tout chez le dentiste est entre les deux :
Le dentiste ne sauve pas des vies, même s’il peut quand même vous sauver la vie, au sens figuré, si vous avez vraiment des chicots pourris et qu’il vous refait la porcelaine façon George Michael.
Le dentiste apaise des douleurs, mais pour ça il doit passer par la case « vous faire mal, très mal ».
Le dentiste fait vaguement la fierté de ses proches.
Le dentiste peut gagner beaucoup d’argent, mais il peut aussi n’en gagner que peu.
C’est chiant dentiste.

De plus, et ça personne ne pourra lui enlever : le dentiste, on ne l’aime pas trop.



On ne l’aime pas parce qu’on sait qu’il va nous faire mal, qu’il va nous mettre dans une position de soumission totale la bouche ouverte nous empêchant toute communication. Une position de soumission certes bien plus acceptable que celle chez le proctologue (non ce n’est pas une obsession, juste…comment dire…c’est bizarre quand même comme vocation !), mais une position de soumission quand même.

On n’aime pas trop le dentiste car il fait peur (le proctologue ne fait pas peur, on ne dit jamais « j’ai peur d’aller chez le proctologue », déjà on ne le dit pas car autant avoir une carie on peut en parler, le reste, généralement on se le garde ; et quand on en parle on a pas peur, ça ne nous excite pas plus que ça, mais ça ne fait pas peur.).

Certaines personnes sont même prises de panique à l’idée d’aller chez ce boucher de dentiste. L’homme qui s’occupe des bouches est dans le cas présent un boucher.

La plupart d’entre nous éprouve plus de crainte à l’idée d’aller voir ce spécialiste qui ne nous veut que du bien  que si on devait passer une nuit dans un manoir écossais perdu au fin fond des Highlands à regarder à la suite Amityville, l’Exorciste, Vendredi 13, Arachnophobie, Zombie, Camping 2 et Massacre à la tronçonneuse.
C’est un constat anormal. Mais c’est un constat incontestable.

Le dentiste est mal aimé.
Le pauvre.

Mais lui s’en fout car il a la juste conviction qu’il agit pour le bien des gens, par amour pour ses patients, et il a raison.

Et pourtant, rendez-vous compte de la vie des dentistes. Car bande d’égoistes que vous êtes, que nous sommes, lorsqu’on lui rend visite, on ne pense qu’à notre petite personne et aux petits bobos qu’on va avoir. Pas une seconde nous nous enquerrons de sa santé à lui, on lui demande juste une chose, toujours la même question de petits bourgeois égocentriques et égoïstes que nous sommes : « ça va faire mal ? ».
Intéressons nous à lui deux minutes, pas plus, deux minutes dans notre vie, interrogeons nous sur sa vie à lui. Et ce pour que tous les candidats à cette profession sachent pourquoi devenir dentiste n’est pas une solution viable pour une vie agréable :




Le financier :

Le dentiste doit, pour démarrer son activité, s’endetter énormément.
Connaissez vous le prix de ces fauteuils confortables, inclinables à loisir tel un Everstyl Luxe, et équipés d’une lampe professionnelle qui ne vous éblouit pas et d’une batterie d’appareils destinés à vous arracher, polir, nettoyer, détartrer, rincer, réparer vos dents ? au moins 50 000 Euros !
Et le prix de tout le matériel ?
Et le prix d’un cabinet plutôt bien placé ?
Et les charges qui pèsent sur un dentiste ?
C’est ahurissant !
Pauvre dentiste qui contrairement au psychiatre qui n’a besoin que d’un canapé pour exercer ou du proctologue qui peut très bien se débrouiller avec une boîte de gants, une lampe torche et une table de cuisine (désolé, il doit effectivement s’agir d’une obsession, je l’assume), le dentiste doit s’équiper , et dernier cri en plus pour rassurer ses clients . Il se doit d’avoir les logiciels qui recréent votre bouche et vous permettent de voir en 3D ce qu’il vient de faire. Il se doit aussi d’avoir un poste de radiologie qui en plus de l’exposer à des rayons ultra dangereux lui coûte une fortune.
Devenir dentiste coûte très cher.




L’humain :

Mais ce n’est pas tout.
Humainement la vie du dentiste est terrible.
Les enfants vous détestent. A la simple vue de votre blouse, ils se mettent à hurler à la mort et souhaitent certainement la votre avant que ne débute la consultation.
Et lorsque vous allez chercher les plus grands dans la salle d’attente, vous voyez bien dans leur regard cette crainte qui dit « mais pourquoi , pourquoi c’est à moi ? je vais devoir payer ce tortionnaire ? pourquoi ? ».
Et pourtant VOUS êtes les plus à plaindre.
Car c’est vous qui allez devoir fouiller dans cette bouche immonde mal brossée dans laquelle se querellent vieilles quenottes et jeunes caries, dépôts alimentaires en phase de fossilisation, infections buccales purulentes et aphtes mal soignés qui font de votre masque en papier un bien faible rempart face à cette agression totale.





Amis policiers, on les fait en papier mâché les gilets pare-balles ? Alors pourquoi ce simple papelito du dentiste ?
Mais vous prenez sur vous car en tant que médecin, vous avez prêté le serment d’Hippocrate et vous êtes investi d’une mission.

Mais le pire n’est pas là, humainement. Car finalement, avec l’habitude, une bouche crade doit faire le même effet qu’un moteur encrassé pour un mécano.

Non, ce qui fait la beauté de l’humain et de la relation entre les hommes, qui nous place au-dessus du règne animal, c’est l’échange, le dialogue, la découverte de l’autre.

Et il n’existe pas un métier au monde dans lequel il soit aussi impossible de discuter que dentiste…



Le proctologue par exemple, il peut tout à fait discuter avec son patient tout en l’auscultant.

Bien sûr il ne faut pas s’attendre à une discussion à bâtons rompus, mais au moins il est possible d’obtenir des informations sur les hobbies, les passions, le métier de ses patients. Ne serait-ce qu’en ne recevant en retour que des réponses onomatopéiques du type : « Oui ! »  « Non ! » « Pourquoi pas ! » « Bretagne ! » « Avocat ! » « Rugby ! » « 2 enfants » « oui c’est ça »… D’accord, ça ne fait pas très construit comme dialogue. Mais si vous ne comprenez pas ça c’est que vous n’avez jamais été chez le proctologue.

Mais c’est toujours mieux que :
« awaaaaa » « wémaaalal » « aaaaaïe » « wégav ? » « hon ! hon ! ha la houlette !!! hon !!! »



Et quand le dentiste veut pousser la discussion un peu plus loin :
« Hi » « Hon » « ouhoua ha » « eutagn ! » « ahoha » « Hugwy » « Heu hanhan » « woui hé ha » (cf les réponses du patient du proctologue, c’est votre première leçon de dentistois, la langue des dentistes)
Il y a effectivement de quoi devenir dingue.
Pas de communication.

Il dit quoi en rentrant à la maison le dentiste quand sa femme lui demande comment était sa journée ? Il peut raconter quoi ? Le proctologue il peut toujours dire qu’il a passé une journée de merde (pardon…pardon… Bigard que fais tu dans mon esprit ? tu étais là dans le manoir écossais ? tu as pris mon âme ? rends la moi !!! han ha woaaaaaa !!!!!).


Mais le dentiste, il dit quoi ?

Il répond quoi quand sa femme lui demande :
« dis donc tu as vu ma copine Alexandra aujourd’hui, elle m’a dit qu’elle avait rendez vous avec toi , elle t’a parlé de nos projets de vacances ? »

« Est-ce que je sais moi ? comment veux tu que je sache ce qu’elle m’a dit ? elle avait la bouche grande ouverte et gémissait comme une brebis qu’on égorge entre deux phrases dont je ne pouvais pas extraire un seul mot !!! Comment veux tu que je sache ce qu’elle m’a raconté cette poufiasse ? et ce que tous les autres, chaque jour de ma vie me racontent ? Et ce que ceux qui viendront me voir durant les 20 prochaines années, car quand on est dentiste on ne peut évidemment pas se recycler et changer de métier, me diront ? Ma vie est faite de monologues de personnes dont je ne parle pas la langue ! Et ça on nous l’apprend pas à la fac ! ça oui je sais soigner une carie et faire un détartrage, aaaaah oui je sais le faire ! mais alors merde j’ai pas le droit au dialogue moi dans ma vie ? Même un facteur qui a fait 6 mois d’études a une vie sociale pendant ses heures de bureau plus développée que la mienne !
Je vois des horreurs, ça pue, 10 fois par jour j’entends cet immonde et insoutenable bruit du gargarisme en fin de consultation et je vois ce liquide rouge dégouliner le long des babines insensibilisées de mes patients, symphonie buccale ponctuée par une série de crachats et un regard dégoûté à mon attention parce que pardon, oui pardon, j’ai laissé un peu d’émail éclaté dans la bouche en opérant un ravalement digne des plus vieux monuments de Paris ou du lifting de Liz Taylor !
Alors ta copine Alexandra je l’emmerde, qu’elle aille se faire foutre avec son con de mari et ses mômes édentés, je pars en vacances tout seul au Club Med parce qu’au Club Med on parle tout le temps aux gens et bizarrement on comprend tout ce qu’ils disent !
Et surtout, tu peux me croire , jamais je dirai que je suis dentiste. Et tu sais pourquoi jamais je dirai que je suis dentiste ?
Parce que quand un connard du village aura une rage de dents on va faire appel à moi, mais quand il y aura un vrai problème et qu’il faudra soigner quelqu’un, malgré mes 6 ans d’étude, et ben je serai comme le pharmaco, jamais personne ne me fera confiance car je ne suis que dentiste.
Même un proctologue on lui ferait plus confiance pour réanimer quelqu’un ! »

« Mais pourquoi tu parles d’un proctologue chéri ? »

« C’est vrai ça, pourquoi je parle d ‘un proctologue moi ?  pardon, ça m’a échappé, je sais pas. C’est venu comme ça. Allez, on oublie ça, passons à table. »


Si vous voulez être aimé, si vous voulez aimer, si vous voulez vous épanouir dans votre métier, si vous aimez l’échange, et si vous avez usiné pendant 6 ans sur les bancs de l’école, ne soyez pas dentiste, il y a mieux…je sais pas moi…proctologue par exemple . 

1 commentaire:

  1. Saisissant ! et cette connaissance du vocable uto-aztèque !
    En tout cas bravo pour ce 1er opus (manque un passage sur l'agent SNCF..). Olivier

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