dimanche 14 juin 2015

GALERISTE : UN MÉTIER POUR ARTISTES SANS TALENT




Regrettée galerie !

Vous avez été élevé dans une famille qui aime les belles choses, l’art, la belle musique, la belle littérature, des idéaux, une famille qui a bien évidemment méprisé le grand frère dont le rêve de devenir trader s’est exaucé, mais paradoxalement une famille fascinée par  les grands industriels collectionneurs d’art, une vraie famille de gauche Sotheby’s.

Vous avez côtoyé au sein des cercles familiaux toutes sortes d’individus passionnants, artistes, dandys, pique-assiettes, lettrés, illettrés, un aréopage d’humains qui vous ont ouvert à la vie et vous ont convaincu qu’il fallait impérativement mêler travail, passion, douceur et art de vivre dans un savant cocktail pour traverser la vie de la manière la plus enrichissante possible.
L’art évidemment. Les artistes bien sûr.

Position sociale, élévation d’esprit, en étant artiste ou en gravitant dans le milieu artistique, on est sûr de ne pas se retrouver chez Janine avec la toile cirée vaguement collante qui voit pendre à sa verticale, à défaut d’un lustre en verre Murano, un ruban collant tue-mouches qui donne à la soupe paysanne fumante dans sa soupière en porcelaine aux bords ébréchés son noble craquant. Le napperon en dentelles normandes délicatement posé sur la Telefunken de 1976 faisant face à Gérard ronquant dans son Everstyl , la télécommande ensachée à la main, prêt à dégainer quand la retransmission de l’ascension du Galibier passe de la 2 à la 3 en regrettant le temps béni du camping car posté 4 jours avant le passage de la caravane sur les pentes d’une France occupée par des hordes de bataves et germains aux uniformes moins seillants que ceux de la Wehrmacht  qui dans toute l’horreur de sa prestation globale nous avait quand même évité la vision scabreuse des chaussettes dans les claquettes et des shorts satins d’athlètes kenyans sur des Helmuts bedonnants et gutturaux. Ouf, reprenons notre respiration.

Je veux être un artiste.

Mais je n’ai pas de talent. Ça arrive.

Alors je veux être au contact d’artistes, et mon éducation m’a ouvert aux autres , aux gens, et particulièrement aux gens qui ont des moyens.
Alors je serai un intermédiaire entre les artistes que j’aime, et les gens dont je connais les usages, manies, obsessions, les riches et nantis. Isabelle.

Je serai galeriste.

Je ne serai pas vraiment un artiste même si j’espère pouvoir raconter aux artistes que moi aussi j’ai mon petit talent. Ce dont ils se foutent mais je rechercherai leur assentiment, toujours. Un peu comme lorsque des fans rencontrent des footballeurs ou ex-footballeurs professionnels et leur disent : moi aussi j’ai joué .

Je ne serai pas vraiment un homme d’affaire car je le refuse, je ne ferai pas ça que pour l’argent, mais la moindre des choses c’est que les amateurs d’art m’en donnent.
Mais je serai heureux au milieu des œuvres d’art, commerçant du bon goût, épicier de l’élévation de l’esprit, charcutier aux mains propres.

Et pourtant, ce dont vous ne vous rendez pas compte c’est que vous ne serez pas vraiment autre chose qu’un galeriste, un intermédiaire quoi, mais surtout vous serez en permanence face à 2 populations insupportables : d’un côté les artistes, de l’autre les clients, c’est à dire les amateurs d’art, ainsi que ceux qui veulent se faire passer pour des amateurs d’art parce qu’il est toujours plus valorisant et prestigieux de dépenser son argent dans l’achat d’œuvres d’art que dans des soirées au Pink  Platinium ou chez Tata.

Même si l’un n’empêche pas l’autre. On peut très bien aller au Pink ET chez Tata …
Non pardon, l’un n’empêche pas l’autre, on peut très bien dépenser son argent dans des œuvres d’art ET avoir en soi assez de vulgarité et de mauvais goût pour se payer des danses privées dans des bar de pole dance ou alors des tapins dans des caboulots. Quoique finalement,  l’option « au boxon » parait certainement plus louable et légitime que celle du cadre qui s’encanaille dans un bar de pole dance tout en gardant bonne conscience et pire, dont la femme fait semblant de trouver ça amusant et pas grave puisque rien ne se passe dans un bar de pole dance. Cette idiote aura l’impression d’être quand même une épouse hyper cool, et son crétin aura l’impression d’être un sacré bon vivant avec une femme formidable, aimante, et tellement charmante quand elle ne voit pas le gros clin d’œil par derrière à la bande de potes qui étaient là quand finalement le billet en plus a permis un finish plus concret dans la danse.
Alors que le bordel, au moins, c’est bien. Celui avec le talon de CB qui indique une dépense en pharmacie ou chez le coiffeur, celui de la réunion qui s’est prolongée avec des clients chinois qu’on se devait d’accompagner dans un dîner d’affaire, celui du patron qui vous a pris par l’épaule en  vous demandant de l’accompagner car il y a de la promotion dans l’air.
Là nous touchons au vrai, aux valeurs éternelles. Oui Messieurs. Nous sommes grands dans nos minableries car elles sont épiques, pleines de panache, elles font rire quand on nous les raconte, car le mensonge est un art comique ultime. C’est Talleyrand, c’est la Comedia del’Arte, c’est Hitler qui dit « Moi ? La Pologne ? pffff… vous rigolez ou quoi ? pas intéressé » . Le génie du mari pris dans le lit de la belle Mona chez Denise par sa femme entrée par effraction et qui lance le magnifique, le chevaleresque : « Chérie, mais qu’est ce que tu fais là ? » (A sa décharge, si je puis dire, la question est légitime, alors que tu es en train de te taper une pute dans un bordel, ta femme censée garder les mômes à la maison pendant que tu es à un dîner d’affaires rentre dans la pièce, cette première question prend tout son sens , pas comme la deuxième remarque qui pour le coup, si je puis dire encore, est plus délicate à concevoir)… « C’est pas ce que tu crois. »… « Pardon mon amour, je croyais t’avoir surpris au lit avec une prostituée alors que tu m’as vendu un dîner boulot, mais si c’est pas ça, désolée d’avoir vu le mal, bonne nuit chéri ».

Passons et revenons à notre galeriste: Pris comme un lapin dans les serres d’un aigle royal entre les artistes et les vrais ou faux amateurs d’art .

1/ Les artistes :


Vous les aimez tant que très vite vous n’allez plus pouvoir les supporter. Ils ne comprendront pas que vous n’arriviez pas à vendre toutes leurs merveilles comme on vend une bière à un irlandais, si le monde ne se pavane pas devant leurs oeuvres c’est que vous et vous seul êtes responsable de la désaffection du public car on ne présente pas les œuvres comme ci mais comme ça.

Ils vivent pour l’art, l’argent n’est qu’accessoire, mais ne vous avisez pas d’avoir 24 heures de retard dans le versement de leur part sur une œuvre !
Ils vous mépriseront car vous n’êtes qu’un marchand, alors qu’eux sont tellement plus importants, vitaux, la preuve, ils sont les premiers visés lorsqu’un régime dictatorial s’instaure. C’est d’ailleurs à ça qu’un artiste reconnaît le monde dans lequel il vit.
Si ce monde l’aime, l’adule, l’achète, il vit dans un régime idéal de tolérance et d’ouverture à l’art. Les artistes peintres chiliens qui peignaient des portraits géants de Pinochet étaient très contents paraît-il.
S’il est rejeté et que tout le monde considère son « travail » comme de la merde et que l’on refuse de l’exposer, c’est parce qu’il vit dans un monde d’ignares et de fachos.
Car être un artiste, c’est avoir une mission.
Etre un artiste c’est, en théorie,  avoir pour mission, enjeu, de créer ou interpréter des œuvres , en toute humilité, avec humour, ou passion, mais surtout  autodérision et simplicité, pour amuser, instruire, et peut être parfois faire réfléchir l’immense majorité des gens qui ne sont pas des artistes.
Mais malheureusement …

Etre un artiste, et pas seulement un peintre ou un sculpteur, un artiste en général, acteur, chanteur, etc…c’est aussi considérer qu’on a tous les droits au nom de son métier, acte de bien public 
Etre un artiste c’est considérer que l’on a quelque chose en plus par rapport aux gens qui ont un travail normal.
Etre un artiste c’est faire d’un loisir , d’une passion , son métier , c’est une chance, pas un sacrifice, et puis quoi encore ?
Etre un artiste, c’est avoir la prétention de croire que chaque mot écrit, chaque texte lu, chaque scène jouée, chaque croquis doit éveiller chez les gens des émotions, des prises de conscience, et les pousser à réfléchir , alors que pas forcément.
Etre un artiste c’est avoir le culot de considérer qu’il est normal de demander des subventions de l’état pour monter des projets bénéfiques pour l’humanité, et que si l’état refuse , c’est une atteinte claire aux libertés d’expression. Alors que si ça se trouve, l’œuvre est juste une sombre daube.
Etre un artiste, c’est se vautrer dans l’autosatisfaction et l’égocentrisme quand le public vous acclame. Qui croira une seule seconde que le plaisir de l’artiste réside dans ce que ressentent les gens ? Non, ceci est secondaire, le « kiff » de l’artiste, c’est de se sentir le centre du monde lorsque les vivats et les bravos abondent. De ressentir cette sensation unique d’être aimé, d’être important. Que Monique ait eu sa petite émotion ne fait plaisir à l’artiste que parce que c’est lui qui lui a procurée. L’émotion de Ginette, sinon, l’émotion des gens déclenchée par quelqu’un d’autre, l’artiste s’en fout. Il la méprise même si c’est un concurrent qui l’a procurée.
Etre un artiste c’est dire qu’on aime son public alors qu’en fait on s’en fout. Dire qu’on aime les chtis, les bretons, les alsaciens, les provençaux…au fil des tournées…Vous les aimez parce qu’ils flattent votre égo, c’est tout. Qu’est ce que vous en avez à branler des trous paumés en région avec tous ces ploucs. Le seul intérêt qu’ils suscitent n’est il pas de vous applaudir et vous acheter ?
Etre un artiste, c’est avoir la fatuité de prétendre proposer des choses pour les gens alors qu’il s’agit souvent d’une démarche égoïste, égotiste. L’histoire de l’épicier du coin est peut être plus émouvante que la votre !
Etre artiste c’est considérer que les autres, les gens, ont besoin de vous pour s’évader et apaiser les souffrances de leurs vies de merde grâce à votre génie. Rien que ça…
Etre un artiste, finalement, c’est considérer le grand public comme une armée des cafards qui ne sont pas des artistes, eux, personnages méprisables car idôlatres parfois, mais que vous appelez « mon public », et qui sont soit dénués de tout talent et ne sont donc bons qu’à vous admirer, soit n’ont pas eu votre courage de risquer tellement gros en se « lançant dans la carrière ».
Etre un artiste, c’est considérer que l’art est partout et qu’il suffit de bomber un mur ou d’exposer un chiotte pour s’autoproclamer artiste, c’est laisser les médias qualifier du même mot « artiste » Paul Mc Cartney et Pitbull, Romane Bohringer et Jodie Foster, Sami Naceri et Robert de Niro. Mais qu’il y a malgré tout des artistes de merde, et des bons artistes, des vrais artistes, et des faux artistes, mais vous seuls avez le droit de dire qui fait partie de quelle catégorie, et surtout vous, vous êtes toujours un vrai bon, mais vous ne le dites pas, fausse modestie oblige.
Etre un artiste c’est se sentir quand même bien au-dessus des autres car on a une vision du monde à travers son art et non à travers des considérations grotesques de personnes qui doivent se lever le matin pour faire un truc qui ne leur plaît pas forcément dans le seul but de nourrir leur famille.
Etre un artiste c’est avoir le droit d’avoir une opinion sur tout et de décider de façon magnanime de ce qui est bien, respectable, acceptable, et de ce qui ne l’est pas.
Etre un artiste c’est considérer faire partie d’une caste à part, d’une caste de gens qui se mettent réellement en danger, prêtent le feu à la critique, souffrent de cet ennemi qu’est la notoriété,  courir toute une vie après la notoriété et se plaindre d’être reconnu dans la rue, un peu comme si un imprimeur souffrait des tâches d’encre.
Etre un artiste c’est faire croire qu’on ne recherche pas la notoriété mais que la seule ambition est de faire passer un message personnel et/ou universel qui s’il peut être entendu par le plus grand nombre rendra le monde heureux, c’est aussi simple que ça, en toute humilité.
Etre un artiste c’est croire que quand on peint, on joue, on sculpte, etc…, on travaille. Comme si nous, quand nous allons jouer au tennis le dimanche, nous allons travailler…
Etre un artiste c’est prendre la plupart des gens pour des cons et des abrutis qui ne comprennent rien sauf quand ils vous applaudissent, vous admirent, vous achètent.
Etre un artiste c’est aussi énormément respecter et admirer tous les autres artistes, enfin surtout ceux qui réussissent moins bien que soi. Avec au sommet de la pyramide un respect sans bornes pour les clowns des hôpitaux qui apportent du bonheur aux enfants malades. Il y en a combien déjà ? Ils y vont les autres artistes quand ils ne jouent pas ?
Etre un artiste, c’est bien sûr aussi mépriser ceux qui réussissent mieux que soi, qui font ça pour l’argent, surtout ceux qui jouent dans Plus Belle La Vie ou Camping Paradis. En tout cas tant qu’on ne vous a pas proposé le rôle à vous.
Etre un artiste de théâtre c’est considérer que monter sur une scène devant 100 personnes, pousser des grands cris avec de gros yeux ronds, faire de grands gestes en récitant le texte d’un autre et se faire applaudir tellement la complaisance est omniprésente et que depuis bien longtemps quand on paye on ne hue plus , c’est quand même autre chose que, par exemple,  de rentrer sur un terrain de foot et de devoir créer chaque fois sa propre composition devant 40 000 personnes quitte à se faire insulter et cracher dessus, de monter sur un ring la peur au ventre car on va prendre des coups, de voir que dans la mêlée d’en face il y a un type qui fait deux fois votre poids et qu’il va falloir se le coltiner pendant 80 minutes, mais ces crétins ne peuvent pas être des artistes bien sûr.


Alors, amis artistes, en conclusion  :

     Arrêtez de vous plaindre, arrêtez de vous considérer comme des gens très importants sous prétexte qu’il y a des artistes qui ont énormément apporté à l’humanité (c’est vrai, mais d’autres l’ont fait aussi: des scientifiques beaucoup, des politiques pas mal, des hommes d’affaire certainement aussi, des militaires, des religieux, des gens ordinaires, des héros du quotidien),
-    Arrêtez de croire que votre avis compte plus que celui du plus crétin des footballeurs ou du plus malin des politiques parce que vous l’exprimez sur le plateau d’Arthur et de Ruquier, complices coupables de cette complaisance généralisée
-    Arrêtez de penser que sans vous le monde partirait en couille et que vous êtes les derniers remparts contre le totalitarisme ou je ne sais quel fantasme (à réétudier donc le positionnement des artistes dans leur grande majorité dans les pays et zones géographiques qui ont à un moment basculé dans des régimes totalitaires au cours de l’histoire…On peut rigoler 5 minutes je pense, ne serait-ce que pendant l’occupation, les théâtres tournaient à fond, étaient pleins. Pleins de public, mais de comédiens aussi. Certains qu’on a continué à voir sans sourciller après. Et d’autres qui l’ont payé cher. Qui n’ont pas retourné leur costume au bon moment. Et ce n’est que la France.)
-   Arrêtez de nous faire croire que vous êtes une corporation unie et solidaire alors que comme dans toutes les corporations, vous n’êtes solidaires que pour protéger vos intérêts personnels et individuels
-    Arrêtez de nous faire croire qu’au-delà de votre art vous vous engagez alors que moi aussi je peux crier haut et fort, avec courage et panache que la guerre c’est nul et qu’il ne devrait plus y avoir de clochards dans les rues !


Vous êtes artistes, c’est un beau métier, alors pratiquez le avec raison, avec passion, montez sur scène la boule au ventre avec humilité, faites nous rire, chanter, rêver, danser, pleurer, aimer, hurler, nous révolter, nous soulever, nous rassembler, mais s’il vous plaît, arrêtez de nous faire chier.

Et surtout, puisque c’est là notre sujet, artistes peintres, sculpteurs, arrêtez de faire chier et de mépriser ceux qui vous offrent une fenêtre de visibilité dans leurs galeries, souvent par passion,  et essaient de vivre en vendant vos croutes ! Car ils sont peut-être les seuls à vraiment croire en vous.





2/ Les clients :

Ah ! Vernissage !

Rassure toi ami galeriste, il n’y a pas que dans ta profession que les clients sont une plaie. Comme tout ce qui est vital, le client est par définition moins drôle que le superflu. Le choux fleur est bon pour la santé, le Nutella non. Mais il est là, il faut faire avec.

Alors, en fonction de ton commerce, le client n’a pas la même attitude.

Le client du fleuriste par exemple est un bon client. Souriant, il vient chez son commerçant pour faire plaisir à quelqu’un, il est pris par la beauté des fleurs et les couleurs, il recherche en vous, fleuriste, tous les conseils du monde pour choisir les plus belles fleurs, la plus belle composition, comprendre la signification des fleurs, pourquoi une hortensia, pourquoi des roses blanches ou jaunes. Il aime aussi le regard complice du vendeur qui sent qu’il va jouer un rôle dans la démarche de son client qui n’a qu’une intention, arriver à ses fins lors de son rendez-vous. Le fleuriste sera un peu dans le lit avec son client, enfin en face du lit, dans le vase.
Le client du fleuriste aura un peu honte aussi en sortant avec son gros bouquet à la main, parce que d’autres dans la rue connaissent la signification de fleurs, et sortir de chez le fleuriste avec certains bouquets c’est comme sortir d’une pharmacie avec un sac transparent rempli de boites de préservatifs.

Le client du magasin de lingerie est aussi très agréable car il arrive en victime consentante auprès de la vendeuse, il se doit de lui communiquer une part d’intime, une part de fantasme, de lui expliquer avec quelles soieries il ornera les courbes excitantes et désormais provocantes de sa compagne. Ou de sa maîtresse lorsqu’il donne des vacances à la compagne.
Il se déshabille avant d’habiller l’autre pour mieux la déshabiller. Et il sort du magasin un peu gêné, à la manière de ceux qui sortaient des sex shop en passant d’abord la tête de l’autre côté du rideau avant de glisser l’ensemble du corps côté rue en priant de ne pas entendre le fameux « eh Roger ! qu’est ce que tu fais dans le quartier ? ».

Le client du boulanger, du charcutier ou du boucher c’est plus simple, il vient pour un besoin vital, il n’y a pas matière à discuter, sauf quand le boucher expose fièrement ses photos de chasse et enclenche chez son client le besoin de se la comparer au travers de la taille des prises du dimanche. Mais là, c’est une affaire de spécialistes. Comme quand un cycliste va dans un magasin de vélo, c’est affaire de spécialistes. Le client spécialiste n’est d’ailleurs pas le plus compliqué à faire repartir les sacs pleins.

Chez le fromager c’est différent. Autant chez le boucher ou le boulanger, on sait ce qu’on achète, ce que l’on voit, une baguette, une entrecôte, un croissant, une bavette. Chez le fromager, le client est une victime. Il essaie parfois de faire le connaisseur, un peu comme chez le caviste, mais il ne sait même pas faire la différence entre un « lait de chèvre » et un « lait de vache ». Et ça le fromager le sait. Alors il embrouille sur tous les fromages et l’apogée de son œuvre c’est quand , tome à bout de lame, il vous demande de valider la taille du morceau qu’il va découper et vous peser : « comme ça ? euh…un peu plus …Comme ça ? euh…un peu moins…comme ça ? euh…oui ça ira » / et c’est le dernier « comme ça » qui fait mal parce que ce que le client voit ou ne voit pas, c’est que la différence entre le dernier « comme ça » et la tranche réellement pesée varie entre 4 et 7 cm de plus.
Alors que faire ? Râler ? ça fait pingre et souvent le fromager possède en plus de son couteau une masse musculaire à peu près 70% supérieure à la votre. Et puis le morceau est coupé, alors c’est trop tard. Alors on dit rien. Sinon, on va acheter un Caprice des Dieux et un Président chez Franprix.

Bref, à chaque profession ses clients, les banquiers, les avocats, les publicitaires, les hommes d’affaires, les loueurs de voitures, toutes les professions ont leurs clients.

Ami galeriste, votre client est une synthèse de tous. Et c’est là que vous allez souffrir.

Comme le client  d’une petite librairie de quartier, votre client est fier d’entrer chez vous. Car s’il est vu, il passera pour un homme de goût, de sensibilité, de culture, il emmagasine donc tout ce qu’il a de fierté et attend de vous le regard qui lui dira : « je sais, vous n’êtes pas comme tous ces cons qui ne s’intéressent à rien ».
Et alors s’il est fier d’entrer, autant ne pas l’imaginer sortant de votre galerie. En cela il est bien différent du furtif de sex shop. Non, lui, c’est le torse bombé et le regard à 360° qu’il va attendre de croiser une de ses connaissances et espérer entendre derrière lui : « eh Roger, qu’est ce que tu fous là ? » « Oh rien de spécial, je flane et je passais un peu de temps dans cette galerie d’art contemporain car je pense acheter une toile de Maya Pinto. Tu connais Maya Pinto ? Non ? tu connais pas ? Ah pardon, c’est vrai, tu ne t’intéresses pas trop à l’âârt toi. ». Je vous rappelle que le type n’a rien acheté.

Comme le client d’un caviste, il fera mine de s’y connaître, de savoir, de ne pas être un puceau de l’art et de maîtriser son sujet,  il vous décrira ce qu’il possède déjà sur ses murs, ce que ses parents avaient, ce que ses potes ont aussi. Il n’est pas un novice et il comprend votre démarche. Et vous riez.

Comme le client d’une concession automobile, il va détailler les œuvres exposées dans le détail, chercher exactement ce qui lui plaît, trouver des excuses pour avoir à réfléchir, et le plus souvent ne rien acheter. S’il y a une chose qu’il ne vous fera jamais gagner, c’est bien du temps.

Comme le client d’un salon de coiffure il va se sentir obligé de vous parler, d’en apprendre plus sur votre parcours, vos artistes, et surtout vous parler de lui.

Comme le client du souk de Marrakech il va vous demander si c’est pas possible de faire une petite ristourne, que ça va quand même l’artiste c’est pas Picasso non plus et que c’est déjà bien de lui acheter des œuvres vu qu’il doit vivre dans un squatt avec de la peinture sur les doigts.

Comme le client d’un magasin de souvenirs il vous serrera la main en vous promettant de revenir très bientôt pour acheter cette toile qu’il a appréciée , et d’ailleurs si vous pouviez lui mettre de côté, alors que vous savez très bien qu’il ne reviendra jamais. Ce blaireau.

Bref, pour cette raison et toutes les autres, gardez l’art comme une passion, un hobby, mais n’en faites jamais un métier.

Non, galeriste , ce n’est pas un métier à faire.


Mmm moui…ce bleu, si bleu…d'un gris !

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