Lorsque l’on s’engage dans
la voie médicale, on aspire à beaucoup de choses.
1/ Tout d’abord on se sent
réellement investi d’une mission de bien public, et c’est le cas.
En fonction de sa
spécialité, il est envisageable de simplement soulager des douleurs diverses
mais il est aussi possible de tout simplement sauver des vies. Quel
destin !
2/ Ensuite, généralement, on
fait la fierté de son entourage. Parents, famille, amis, tout le monde est
conscient de la difficulté d’intégrer le corps médical. Les études sont
longues, difficiles, exigeantes. Et nos proches éprouvent une certaine fierté à
côtoyer une personne capable de tant de sacrifices pour le bien être d’autrui.
Cette reconnaissance est
importante, gratifiante. Et à juste titre.
On est aimé, apprécié,
admiré même.
3/ Enfin, on se dit que
cette voie est aussi un bon moyen d’avoir une belle situation, de s’assurer un
train de vie confortable et d’assurer à sa descendance de quoi prétendre à un
parcours au moins aussi enviable que le notre.
Mais s’engager dans la
médecine est aussi risqué.
Risqué parce qu’on est pas
sûr d’y arriver.
Risqué aussi parce qu’on
peut certes sauver des vies, mais une bonne petite erreur sur une table
d’opération ou un diagnostic un peu moyen et hop, on a une mort sur la
conscience. Et une famille entière sur le dos. Celle du défunt le plus souvent.
Risqué surtout parce qu’on
ne choisit pas toujours sa spécialité et en fonction de son classement aux
concours généraux, on ne se retrouve pas chirurgien ou cardiologue comme ça.
Alors on imagine bien que
les derniers de la classe se retrouvent en proctologie ou en gériatrie.
Cela ne fait aucun doute.
Le type qui , sorti premier
de sa promotion, choisit
proctologie est à enfermer direct ou à surveiller de très très près.
Pourquoi ?
1/ Tout d’abord parce qu’on
ne sauvera jamais de vies en tant que proctologue et que passer ses journées à
soulager des douleurs liées à des poussées anarchiques d’hémorroïdes ne relève
pas du paradis médical. Ce n’est pas non plus pour rien que Georges Clooney
dans Urgences ou Dr House ne sont pas proctologues.
Quoique ça donnerait
certainement un relief intéressant aux épisodes. Pas sûr que le Docteur Mamour
de Grey’s Anatomy continuerait à déclencher chez toutes les petites internes
ces émois délirants si à chaque fois qu’elles le voyaient en consultation il
était, armé de ses gants Mapa, en pleine inspection de trous du cul. Ça casse
quand même bien le mythe.
2/ Ensuite parce qu’il est
peu probable que votre entourage et vos parents se vantent en société d’avoir
un fils proctologue. Bien évidemment.
« Il fait quoi votre
fils ? »
« Il est cardiologue,
et le votre ? »
« Euhhhh… il est
médecin aussi !!!! »
3/ Et enfin je ne suis pas
sûr que ce type de spécialité soit extrêmement rémunératrice. En même temps ,
on en sait rien. Un type qui sort de sa Porsche avec son costume à 5000 Euros
n’a pas forcément changé sa plaque d’immatriculation en « PROCTOS »
pour afficher au grand jour sa réussite liée aux fouilles anales.
Le seul avantage, et il est
léger, c’est que c’est le seul métier où vous pouvez arriver devant un
technicien de chez Midas et lui dire : « ça va
confrère ? ».
Il existe donc en médecine
certaines spécialités peu recommandables, type proctologue donc, et d’autres en
revanche extrêmement bien notées et qui vous permettent de remplir les 3
critères suscités (pour rappel : sauver des vies, susciter fierté de votre
entourage, gagner largement sa vie) : cardiologue, cancérologue,
hématologue, ophtalmologiste, gynécologue obstétricien, pédiatre, anesthésiste,
chirurgien, psychiatre, etc… Tous ces métiers devant lesquels vous pourrez
fréquemment entendre :
« c’est un
éminent… »
Faites un essai :
« C’est un éminent
cardiologue » : ça marche
« c’est un éminent
proctologue » : ça marche pas.
C’est comme ça. Triste,
injuste, mais comme ça.
Mais il y a dans le secteur
médical un métier qu’il est difficile de situer.
Car à la fois il remplit les
critères, et à la fois il ne les remplit pas.
C’est le dentiste.
« c’est un éminent
dentiste » : ça marche…moyen. Mais ça passe, faut un peut jouer des
coudes, mais ça passe.
Et tout chez le dentiste est
entre les deux :
Le dentiste ne sauve pas des
vies, même s’il peut quand même vous sauver la vie, au sens figuré, si vous
avez vraiment des chicots pourris et qu’il vous refait la porcelaine façon
George Michael.
Le dentiste apaise des douleurs,
mais pour ça il doit passer par la case « vous faire mal, très mal ».
Le dentiste fait vaguement
la fierté de ses proches.
Le dentiste peut gagner
beaucoup d’argent, mais il peut aussi n’en gagner que peu.
C’est chiant dentiste.
De plus, et ça personne ne
pourra lui enlever : le dentiste, on ne l’aime pas trop.
On ne l’aime pas parce qu’on
sait qu’il va nous faire mal, qu’il va nous mettre dans une position de
soumission totale la bouche ouverte nous empêchant toute communication. Une
position de soumission certes bien plus acceptable que celle chez le
proctologue (non ce n’est pas une obsession, juste…comment dire…c’est bizarre
quand même comme vocation !), mais une position de soumission quand même.
On n’aime pas trop le
dentiste car il fait peur (le proctologue ne fait pas peur, on ne dit jamais
« j’ai peur d’aller chez le proctologue », déjà on ne le dit pas car
autant avoir une carie on peut en parler, le reste, généralement on se le
garde ; et quand on en parle on a pas peur, ça ne nous excite pas plus que
ça, mais ça ne fait pas peur.).
Certaines personnes sont
même prises de panique à l’idée d’aller chez ce boucher de dentiste. L’homme
qui s’occupe des bouches est dans le cas présent un boucher.
La plupart d’entre nous
éprouve plus de crainte à l’idée d’aller voir ce spécialiste qui ne nous veut
que du bien que si on devait
passer une nuit dans un manoir écossais perdu au fin fond des Highlands à
regarder à la suite Amityville, l’Exorciste, Vendredi 13, Arachnophobie,
Zombie, Camping 2 et Massacre à la tronçonneuse.
C’est un constat anormal.
Mais c’est un constat incontestable.
Le dentiste est mal aimé.
Le pauvre.
Mais lui s’en fout car il a
la juste conviction qu’il agit pour le bien des gens, par amour pour ses
patients, et il a raison.
Et pourtant, rendez-vous
compte de la vie des dentistes. Car bande d’égoistes que vous êtes, que nous
sommes, lorsqu’on lui rend visite, on ne pense qu’à notre petite personne et
aux petits bobos qu’on va avoir. Pas une seconde nous nous enquerrons de sa
santé à lui, on lui demande juste une chose, toujours la même question de
petits bourgeois égocentriques et égoïstes que nous sommes : « ça va
faire mal ? ».
Intéressons nous à lui deux
minutes, pas plus, deux minutes dans notre vie, interrogeons nous sur sa vie à lui.
Et ce pour que tous les candidats à cette profession sachent pourquoi devenir
dentiste n’est pas une solution viable pour une vie agréable :
Le
financier :
Le dentiste doit, pour
démarrer son activité, s’endetter énormément.
Connaissez vous le prix de
ces fauteuils confortables, inclinables à loisir tel un Everstyl Luxe, et
équipés d’une lampe professionnelle qui ne vous éblouit pas et d’une batterie
d’appareils destinés à vous arracher, polir, nettoyer, détartrer, rincer,
réparer vos dents ? au moins 50 000 Euros !
Et le prix de tout le
matériel ?
Et le prix d’un cabinet
plutôt bien placé ?
Et les charges qui pèsent
sur un dentiste ?
C’est ahurissant !
Pauvre dentiste qui
contrairement au psychiatre qui n’a besoin que d’un canapé pour exercer ou du
proctologue qui peut très bien se débrouiller avec une boîte de gants, une
lampe torche et une table de cuisine (désolé, il doit effectivement s’agir
d’une obsession, je l’assume), le dentiste doit s’équiper , et dernier cri en
plus pour rassurer ses clients . Il se doit d’avoir les logiciels qui recréent
votre bouche et vous permettent de voir en 3D ce qu’il vient de faire. Il se
doit aussi d’avoir un poste de radiologie qui en plus de l’exposer à des rayons
ultra dangereux lui coûte une fortune.
Devenir dentiste coûte très
cher.
L’humain :
Mais ce n’est pas tout.
Humainement la vie du
dentiste est terrible.
Les enfants vous détestent.
A la simple vue de votre blouse, ils se mettent à hurler à la mort et
souhaitent certainement la votre avant que ne débute la consultation.
Et lorsque vous allez
chercher les plus grands dans la salle d’attente, vous voyez bien dans leur
regard cette crainte qui dit « mais pourquoi , pourquoi c’est à moi ?
je vais devoir payer ce tortionnaire ? pourquoi ? ».
Et pourtant VOUS êtes les
plus à plaindre.
Car c’est vous qui allez
devoir fouiller dans cette bouche immonde mal brossée dans laquelle se
querellent vieilles quenottes et jeunes caries, dépôts alimentaires en phase de
fossilisation, infections buccales purulentes et aphtes mal soignés qui font de
votre masque en papier un bien faible rempart face à cette agression totale.
Amis policiers, on les fait
en papier mâché les gilets pare-balles ? Alors pourquoi ce simple papelito
du dentiste ?
Mais vous prenez sur vous car
en tant que médecin, vous avez prêté le serment d’Hippocrate et vous êtes
investi d’une mission.
Mais le pire n’est pas là,
humainement. Car finalement, avec l’habitude, une bouche crade doit faire le
même effet qu’un moteur encrassé pour un mécano.
Non, ce qui fait la beauté
de l’humain et de la relation entre les hommes, qui nous place au-dessus du
règne animal, c’est l’échange, le dialogue, la découverte de l’autre.
Et il n’existe pas un métier
au monde dans lequel il soit aussi impossible de discuter que dentiste…
Le proctologue par exemple,
il peut tout à fait discuter avec son patient tout en l’auscultant.
Bien sûr il ne faut pas
s’attendre à une discussion à bâtons rompus, mais au moins il est possible
d’obtenir des informations sur les hobbies, les passions, le métier de ses
patients. Ne serait-ce qu’en ne recevant en retour que des réponses
onomatopéiques du type : « Oui ! » « Non ! »
« Pourquoi pas ! » « Bretagne ! »
« Avocat ! » « Rugby ! » « 2 enfants »
« oui c’est ça »… D’accord, ça ne fait pas très construit comme
dialogue. Mais si vous ne comprenez pas ça c’est que vous n’avez jamais été
chez le proctologue.
Mais c’est toujours mieux
que :
« awaaaaa »
« wémaaalal » « aaaaaïe » « wégav ? »
« hon ! hon ! ha la houlette !!! hon !!! »
Et quand le dentiste veut
pousser la discussion un peu plus loin :
« Hi »
« Hon » « ouhoua ha » « eutagn ! »
« ahoha » « Hugwy » « Heu hanhan » « woui hé
ha » (cf les réponses du patient du proctologue, c’est votre première
leçon de dentistois, la langue des dentistes)
Il y a effectivement de quoi
devenir dingue.
Pas de communication.
Il dit quoi en rentrant à la
maison le dentiste quand sa femme lui demande comment était sa journée ?
Il peut raconter quoi ? Le proctologue il peut toujours dire qu’il a passé
une journée de merde (pardon…pardon… Bigard que fais tu dans mon esprit ?
tu étais là dans le manoir écossais ? tu as pris mon âme ? rends la
moi !!! han ha woaaaaaa !!!!!).
Mais le dentiste, il dit
quoi ?
Il répond quoi quand sa
femme lui demande :
« dis donc tu as vu ma
copine Alexandra aujourd’hui, elle m’a dit qu’elle avait rendez vous avec toi ,
elle t’a parlé de nos projets de vacances ? »
« Est-ce que je sais
moi ? comment veux tu que je sache ce qu’elle m’a dit ? elle avait la
bouche grande ouverte et gémissait comme une brebis qu’on égorge entre deux
phrases dont je ne pouvais pas extraire un seul mot !!! Comment veux tu
que je sache ce qu’elle m’a raconté cette poufiasse ? et ce que tous les
autres, chaque jour de ma vie me racontent ? Et ce que ceux qui viendront
me voir durant les 20 prochaines années, car quand on est dentiste on ne peut
évidemment pas se recycler et changer de métier, me diront ? Ma vie est
faite de monologues de personnes dont je ne parle pas la langue ! Et ça on
nous l’apprend pas à la fac ! ça oui je sais soigner une carie et faire un
détartrage, aaaaah oui je sais le faire ! mais alors merde j’ai pas le
droit au dialogue moi dans ma vie ? Même un facteur qui a fait 6 mois
d’études a une vie sociale pendant ses heures de bureau plus développée que la
mienne !
Je vois des horreurs, ça
pue, 10 fois par jour j’entends cet immonde et insoutenable bruit du gargarisme
en fin de consultation et je vois ce liquide rouge dégouliner le long des
babines insensibilisées de mes patients, symphonie buccale ponctuée par une
série de crachats et un regard dégoûté à mon attention parce que pardon, oui
pardon, j’ai laissé un peu d’émail éclaté dans la bouche en opérant un
ravalement digne des plus vieux monuments de Paris ou du lifting de Liz
Taylor !
Alors ta copine Alexandra je
l’emmerde, qu’elle aille se faire foutre avec son con de mari et ses mômes
édentés, je pars en vacances tout seul au Club Med parce qu’au Club Med on
parle tout le temps aux gens et bizarrement on comprend tout ce qu’ils
disent !
Et surtout, tu peux me
croire , jamais je dirai que je suis dentiste. Et tu sais pourquoi jamais je
dirai que je suis dentiste ?
Parce que quand un connard
du village aura une rage de dents on va faire appel à moi, mais quand il y aura
un vrai problème et qu’il faudra soigner quelqu’un, malgré mes 6 ans d’étude,
et ben je serai comme le pharmaco, jamais personne ne me fera confiance car je
ne suis que dentiste.
Même un proctologue on lui
ferait plus confiance pour réanimer quelqu’un ! »
« Mais pourquoi tu
parles d’un proctologue chéri ? »
« C’est vrai ça,
pourquoi je parle d ‘un proctologue moi ? pardon, ça m’a échappé, je
sais pas. C’est venu comme ça. Allez, on oublie ça, passons à table. »
Si vous voulez être aimé, si
vous voulez aimer, si vous voulez vous épanouir dans votre métier, si vous
aimez l’échange, et si vous avez usiné pendant 6 ans sur les bancs de l’école,
ne soyez pas dentiste, il y a mieux…je sais pas moi…proctologue par
exemple .
Saisissant ! et cette connaissance du vocable uto-aztèque !
RépondreSupprimerEn tout cas bravo pour ce 1er opus (manque un passage sur l'agent SNCF..). Olivier