Comment ça ? Non !!! il a osé ? Mais qui est-il ? un
pendard ? un maraud ? Un coquin ?
C’est à cet instant précis que la foule se met en mouvement, massive,
compacte, une et effrayante. Fourches et piques dressées vers le ciel en
attente d’être abreuvées du sang dégoulinant de la tête tranchée du félon, du
traître, d’el Traidor.
Mais s’il ne doit en rester qu’un seul face à la bête immonde, unique
survivant de la liberté de penser , fier et droit sur mon immaculé
destrier, l’armure brillante, le
heaume haut porté et symbole de mon courage et de ma valeur, le panache blanc
de l’homme plus noble que tout ce que vous pourrez imaginer : fierté,
intégrité, fidélité, liberté, ébriété, je serai celui-là.
S’il ne doit en rester qu’un pour affirmer que non, chirurgien n’est pas un
métier recommandable, je serai encore celui-là. Le même d’ailleurs. Il ne peut
y avoir qu’un seul celui-là, lui, prophète de son temps, il sera bientôt suivi par des
dizaines, des centaines, des milliers, des millions, et même des milliards si
on compte les chinois.
Quitte à heurter, choquer , blesser. Le monde entier.
Mais dans la mesure où nous sommes pour l’instant entre nous, et bien je
vais me contenter dans un premier temps de heurter les français, tous les
français.
Tous les papas, toutes les mamans bavant de fierté lorsqu’un de leurs rejetons
découpe son premier bidet.
Tous les enfants qui rêvent plus tard à leur tour de porter la blouse et de
transpirer la prestance de celui qui un jour, après leur avoir oté les
amygdales s’est approché du lit d’hôpital aux draps aussi soyeux qu’un costard
en toile de jute , a jeté un coup d’œil rapide et maîtrisé sur des papiers
ornés de courbes et tableaux fixés à une plaque métallique crochetée aux
barreaux du lit, s’est repositionné la mèche d’un geste aérien et chaloupé, et s’est
fendu d’un clin d’œil complice aggrémenté d’un sourire en coin pour recommander à
l’enfant encore groggy des vapeurs des dérivés morphiniques qui feraient la
joie de n’importe quel toxico de la Porte de la Chapelle : « et surtout,
je compte sur toi pour manger beaucoup de glaces ! Allez, salut
bonhomme , t’es mon pote ! »», re-clin d’œil, tape sur l’épaule
du papa, petite œillade à la maman déjà totalement liquéfiée, et sortie
théâtrale de la chambre.
Silence total.
Jean-Paul II ferait un passage éclair à l’église de Cracovie bras-dessus
bras-dessous avec Bernadette Soubirou d’un côté et la main calée dans la poche
arrière du Levi’s de la Vierge
Marie herself de l’autre, l’assistance serait moins coite. Oui, coite.
Tous les français rêvent de chirurgiens. Tous.
Les classes les plus aisées, cadre supérieur ou entrepreneur, pavillon à
Neuilly, monospace familial + petite sportive pour se détendre, vacances au Cap
d’Antibes, Cap Ferret, Cap Corse, Cap Riséfini, Cap Itèneflam, Saint Lunaire,
d’une villa l’autre, d’un bateau l’autre, todd’s en daim bermuda beige chemise
Figaret et cachemire Bompard sur les épaules.
Les classes les plus modestes en familles nombreuses débarquées du Nord Pas
de Calais encartées CGT et RC Lens, boule à l’arrière de la Peugeot (la même
boule qui casse les tibias quand on passe entre deux voitures garées pour traverser),
maillot de foot kronenbourg short satin et claquettes Ribery.
Tous, tous en rêvent.
Et pourtant, et pourtant, et pourtant. Il y a le mythe, et la réalité.
Et nous savons tous au travers de nos brillantes lectures que du mythe à la
réalité, il n’y a qu’un pas que seul un bistouri peut accomplir. Et ce, même si
« le pas du bistouri » fait encore l’objet d’études pour le moment
classées Secret Défense et c’est pourquoi je ne m’étendrai pas sur un tel sujet
au risque de créer polémiques et tensions
grammatico-ethno-diplomatico-écologiques qui n’ont rien à faire dans un ouvrage
à l’intérêt inversement proportionnel à sa légèreté de ton et de thèmes, ou de
thons et je t’aime.
Alors pourquoi ? why ? porque ? per che ? alach ?
warum ? hvorfor ? neden ? dlaczego ? waarom ? bon on
s’arrête là , je tiens à remercier les efforts et l’aide incommensurable de
Google Traduction et WordReference de m’apporter leur soutien et leurs
compétences non pour cette petite listouille internationale de
« pourquoi », mais pour m’aider à traduire en français ce recueil
dont j’ai écrit la mouture originale en latin mêlé de grec ancien pour les
parties plus moqueuses car qui mieux que les anciens grecs pour apporter une
touche d’humour au sérieux et à la rigueur du latiniste que je suis ?
Qui ? Who ? Quien ? Shkoun ? STOOOOOOOP !!!!!
Tenterais-je de gagner du temps ? comme s’il n’était pas si facile
d’expliquer à la vulgaire populasse qui représente un bon 68,4%
du lectorat du torchon qui est en train de salir vos si fragiles petites
menottes manucurées de bourgeois que chirurgien c’est un métier à la con. Et
non, ce n’est pas facile.
Alors pourquoi ? (sobriété, langue française, Voltaire, Rousseau,
Hugo, Zola, tout simplement).
1-
Le mythe
Le mythe , c’est pas compliqué, c’est un peu tout ce que vous voyez à la télé, dans Urgences, Grey’s anatomy, Private Practice, etc…
La
scène :
Dans
les vapeurs éthérées des couloirs sans âme de l’hôpital Central, un vacarme
inquiétant vacarmait au croisement des services d’oncologie et de pédiatrie.
Les pas cumulés du Professeur Brown, chirurgien émérite et de ses équipes
hypnotisées par le regard , la vision et le savoir du professeur rappelaient
avec un émoi non feint les vibrations sismiques ressenties pas les populations
de Pompei avant leur fatal ensevelissement…
Le
professeur Brown, la quarantaine troublante et le regard malicieux arpente
quotidiennement les linos parfaits de cet hôpital modèle dans lequel tout le
monde est beau, jeune, souriant, mais où chacun renferme une blessure, un
malaise, une passion qui nourriront les intrigues palpitantes de chaque
épisode.
Toutes
les femmes du monde seront séduites par le professeur Brown, mais aussi par les
professeurs White, Blue, Black, et Pink. Non, pas Pink, enfin si mais pas
pareil, lui il sera le copain qu’elles rêvent toutes d’avoir.
Le
professeur Brown , parfois Docteur Mamour, parfois juste Clooney sera l’idole
des téléspectatrices, à la hauteur de l’agacement qu’il provoquera chez leurs
maris.
Et
cette extase n’a rien à voir avec un aspect purement médical de la question.
Bien que comme nous le savons, toutes les femmes ont un don inné pour la médecine.
Nous les hommes devons, avant de nous permettre d’émettre un avis médical, un
vague diagnostic, une ébauche de posologie, passer par une dizaine d’années
d’études.
Les
femmes non, chez elles, la médecine est aussi évidente que la marche à pied
l’est pour nous, simple affaire de logique et de bon sens. Un médecin ne sera
bon que s’il partage le diagnostic pré-établi à la maison. Sinon, il faut en
changer, c’est un tocard. Seul le chirurgien, qui aura confirmé le diagnostic
et passera à l’action aura grâce aux yeux des femmes. Car le domaine du scalpel
et du sang échappe, de peu certes, à leur domaine de compétence.
Mais ce
n’est pas tout. Alors que nous, les hommes, après nos 7 ans de médecine, pour
acquérir une spécialisation, devons re-signer pour 3 à 5 ans d’étude, il en est
une étonnante que les femmes acquièrent spontanément en 9 mois : la
pédiatrie.
Un
phénomène extraordinaire qui peut transformer une femme totalement déconnectée
de la chose médicale et encore plus pédiatrique, en grande ponte (sans mauvais
jeu de mots) de la spécialité.
Une
période de 9 mois, du constat de la grossesse à l’accouchement, qui suffit pour
qu’à la naissance du bébé, la maman sache exactement et bien mieux que
quiconque et en particulier son mari, tous les soins qui doivent être prodigués
à son enfant. Quitte à changer de pédiatre au deuxième mois de l’enfant, car
évidemment, une maman en sait plus que n’importe quel pédiatre diplômé sur ce
dont son nouveau-né a besoin comme soins.
En
résumé et avec très peu de mauvaise foi : 9 mois passés à se sentir soit
moche et grosse soit belle et épanouie, à regarder son ventre grossir dans un
miroir, à avoir éventuellement quelques nausées, à lire des magazines et des
livres débiles de psychologie pour enfants et mamans qui feraient passer
Katherine Pancol pour Marguerite Duras, à discuter aveceu les copineu pendant
des heures en imaginant les lendemains qui chanteront (brailleront plutôt), à
critiquer le futur papa alors qu’il n’a encore rien fait - ce qui est justement
critiquable , il ne porte pas l’enfant lui - à s’ennuyer, à vouloir le cas
échéant continuer à travailler jusqu’au dernier moment pour se prouver quelque
chose…mais se prouver quoi…on ne sait toujours pas, bref, 9 mois comme ça et
vous ressortez avec un diplôme de pédiatrie.
Nous de
notre côté, si nous passons les mêmes 9 mois à se regarder dans le miroir et à
se trouver un peu bedonnants, à gerber dans tous les coins parce qu’on aura
aussi passé pas mal de temps avec les copains, à lire des bouquins débiles et
des magazines de foot et de bagnoles, à critiquer sa femme parce qu’être
enceinte de 3 mois n’empêche pas automatiquement de porter le sac où il y a le
pain de mie en revenant du supermarché, et à aller bosser en râlant le matin,
et bien je peux vous garantir qu’on ne sortira diplômé de rien, à part
éventuellement le diplôme du connard égoïste. Un diplôme qui se mérite certes,
mais un diplôme peu reluisant.
Inégalité
des sexes…
Pour en
revenir aux chirurgiens après cette petite digression vaguement polémique mais
totalement machiste, ce que les femmes admirent chez ces hommes c’est qu’ils
regroupent exactement tout ce dont une femme rêve lorsqu’elle fait le portrait
robot de l’homme idéal, bref, pas nous :
Un homme brillant
Un homme brillant
Une profession indiscutable,
incritiquable, magnifiquement porteuse de statuts dans les salons
mondains
Un homme avec de l’esprit
Mais un homme mûr, avec de
lourdes responsabilités, un homme sur qui on peut s’appuyer, une épaule
réconfortante
Un côté artiste, un peu enfant
et plaisantin parfois, héritage de l’école de médecine
Des revenus conséquents
Un homme qui attise les
convoitises de tant d’autres femmes, qu’il faut donc protéger, défendre, il
faudra lutter pour le garder
Un homme avec sa part de
mystère, ses blessures, ses douleurs lorsqu’il perd un patient, douleur que
les autres ne peuvent pas comprendre
Un homme qui peut à tout moment
se transformer en héros, au milieu d’un carambolage, dans un
avion, n’importe
où n’importe quand
Et surtout , un homme sain, un
saint.
En résumé, tout ce que
nous ne sommes pas, mais c’est sans importance, car en réalité cet homme
n’existe pas.
Bref,
pour revenir à nos blouses cathodiques (blues cathodiques pour nous les
hommes), tout ce que vous verrez dans ces séries et faux. A part l’aspect
médical, particulièrement bien étudié avec de vrais médecins dans les studios
hollywoodiens. Ce que vous confirmeront vos femmes qui , en chœur avec Gregory
House, vous affirmeront elles-aussi que tels symptômes ne peuvent bien entendu
ni être un lupus, ni un Huntington, et encore moins un Barnstacker.
2- Tout le reste est faux, la
preuve, et c’est cela la réalité:
Non,
tous les chirurgiens ne sont pas quadragénaires et professeurs, charmants,
physique de rêve, il y en a plein de moches.
Non,
lorsque vous êtes chirurgien, toutes les infirmières ne rêvent pas forcément de
coucher avec vous, et même si c’est le cas, toutes ne sont pas jeunes et
jolies, n’importe quelle expérience en tant que patient le confirme. Le
fantasme de la splendide infirmière suave et goulue, probablement nue sous sa
blouse, qui vient vous prodiguer quelques soins avec une sensualité extrême est
souvent vite balayé par Marie-Françoise, la blouse moulante et pourtant c’est
du XXL, qui se grouille de vous
refaire le bandage parce qu’il est 15h50 et que son RER part à 16h22 pour
Montgeron où l’attendent ses chats
et son gros mari.
De
plus, il est aussi faux de penser que toutes les infirmières sont donc jeunes
et jolies et vivent dans des villas de 500 m2 à flanc de colline sur les
hauteurs de St Trop’ comme dans Sous le Soleil.
Non ,
en tant que chirurgien vous ne pratiquerez pas uniquement des opérations hyper
compliquées, hyper sensibles, qui demandent des heures d’intervention, la peur,
la crainte, puis l’admiration sans limites de tout le corps médical car jamais
une telle opération n’avait réussie auparavant. La plupart de vos journées se
limiteront à des consultations exagérément facturées pour payer le crédit de
votre loft dans le 7ème et à des interventions banales
(appendicites, fractures, anneaux gastriques, varices , nouveaux seins,
enlarged pénis, etc…) que vous abattrez dans l’indifférence générale à un
rythme de fordiste des années 30 enfermé dans un bloc opératoire sinistre et
froid avec une charlotte bleue sur la tête en lieu et place des bandanas
bigarrés totale fashion des chirurgiens des séries.
Non
vous ne logerez pas dans un immense appart’ où tout le monde va et vient dans
une ambiance très Friends , ou encore dans un bus réaménagé en haut d’une
colline qui domine la ville , peut être même que vous aurez une femme, des
enfants, des obligations, des petites joies, des petites peines, des crises de
couple, des moments heureux, bref une vie normale quoi .
Non
vous ne finirez pas toutes vos journées dans le bar super sympa du coin à boire
des coups avec vos potes chirurgiens, puisque vous aurez peut être aussi envie
de rentrer chez vous et de passer du temps en famille.
Non
vous ne vivrez pas forcément à Los Angeles, Boston, Seattle, Paris, Londres,
Tokyo ou Berlin, peut être serez vous chirurgien orthopédiste au CHU du Havre.
C’est possible, ça peut arriver, il y en a.
Pour toutes ces raisons
et avant de vous engager dans une voie que vous sentez sans limites dans la
jouissance de la vie, réfléchissez à deux fois.
Mais ce n’est pas tout.
Savez-vous ce que le
chirurgien découvre chaque jour ? ce qu’il trouve à l’intérieur de nous ?
Certes le prestige est
immense, c’est ce que vous, chirurgiens, recherchez avant tout.
Et la fierté, se
regarder dans la glace et se dire : « aujourd’hui, j’ai sauvé des
vies », en pensant à ces milliers d’individus sans intérêt qui , lorsqu’on
leur demande si leur travail revêt pour eux une importance folle et représente
un intérêt commun fort,
répondent : « Oh vous savez, on sauve pas des vies non
plus ».
Et bien vous si. Vous
sauvez des vies.
Mais à quel prix ?
Est-ce que les gens
savent ce que vous vivez à découper des corps toute la journée ?
Est-ce que le public se
souvient seulement de ces témoignages d’hommes qui revenant des champs de
bataille ne se souvenaient que de cette odeur insupportable de corps éventrés.
Car le corps humain pue
à l’intérieur, déjà les faibles masses d’air qui en réchappent par derrière
nous font grimacer. Imaginez la différence entre l’odeur du souffre d’une
allumette que l’on craque et pénétrer une mine de souffre.
Nous parlons de la même
chose, et ne croyez pas que ce soit ce maigre masque en papier-tissu qui change
quoi que ce soit. Le même que
celui du dentiste . Si je devais être chirurgien, c’est en scaphandre que
j’exercerais !
Physiquement ce boulot
est horriblement éprouvant et avant de recoudre, il faut couper, fouiller,
triturer, coller, agrafer, visser, déplacer, éviscérer, le tout dans une odeur
de poissonnerie en grève en période de canicule au sud de l’Inde.
Alors après on s’étonne
que vous puissiez oublier des trucs à l’intérieur. Mais c’est normal !
Nous vous comprenons.
Nous comprenons aussi
que votre métier est ingrat et qu’aujourd’hui on ne s’étonne plus de vos
prouesses : « oh ça va une appendicite, tu coupes, t’enlèves, tu
recouds » dit celui qui n’est même pas capable de recoudre un bouton à sa
chemise.
En revanche, vos échecs
ne sont jamais pardonnés et vous pouvez vite vous retrouver poursuivis,
injuriés, crachés, condamnés, mis au ban parce qu’à un moment, vous avez raté.
Car si vous sauvez des
vies, il peut vous arriver d’en ôter, ce sont les risques du métier, mais ça,
personne ne vous le pardonne.
Voilà un métier qui
souffre des avancées technologiques car l’apport de l’humain est de plus en
plus dévalorisé.
Pourquoi croyez vous que
House est diagnosticien et Mamour chirurgien en neurologie ? Parce que
cela reste des métiers à part dans la chirurgie, et si vous n’en faites pas
partie, vous souffrirez toujours la comparaison avec ceux là. L’échec ne vous
sera jamais pardonné, et vous aurez une vie à la con, loin de ce que vous aurez
imaginé.
Il sera toujours moins
prestigieux de couper des hémorroïdes à un quinquagénaire dont vous sauvez
réellement les quarante prochaines années , que d’ôter une tumeur dans le
cerveau d’un homme qui ne survivra que 2 ans.
C’est comme ça.
Donc ne risquez pas
d’être déçu, ne devenez pas chirurgien.
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