Le vrai pouvoir . Il est entre les mains des
journalistes.
Alors évidemment que cette profession suscite
vocations, carrières et ambitions.
Evidemment que des ribambelles de gamins se voyant
déjà parcourir le monde à la découverte de peuples et de scoops se ruent aux
portes du Centre de Formation des Journalistes (CFJ).
Car pour
devenir journaliste, il y a une première étape à passer, c’est celle de l’école
de journalisme.
Alors c’est pas que ce soit très difficile , il
suffit de maîtriser le français, l’anglais tant bien que mal, avoir une petite
dose de culture générale et ne pas être trop maladroit de la plume.
Après on entre au CFJ et à force de stages on
devient journaliste.
Alors me direz-vous, j’en connais d’autres qui
savent écrire, pas trop mal, et qui disposent d’un bon petit bagage culturel,
ils ne peuvent pas être
journalistes eux ?
Et non. Car la profession de journaliste est une des
branches les plus corporatistes dans notre France du XXIème siècle.
Pour en être, il faut le diplôme de l’école de
journalisme.
Sinon vous ne serez, à quelques rares exceptions,
jamais adoubé par la profession. On est pas catholique sans baptême ni juif
sans bar mitzvah. Le boulet du
« pas de diplôme », on le traîne à vie.
Et ce,
que vous soyez au Financial
Times ou à Gala, sur Europe 1 ou sur Skyrock.
Même si, ces dernières années, la télévision et la
radio ont ouvert leurs portes au diable en acceptant des animateurs ou des
consultants aux côtés des journalistes . De sombres individus qui se permettent de piquer un peu de
lumière à la personne toujours modeste qu’est le journaliste.
Si vous voulez
être journaliste, n’oubliez pas de considérer ce que vous faites comme
extrêmement important car vous le faites pour les gens.
Grâce à vous les gens savent. Si vous n’étiez pas
là, les gens ne sauraient pas. Ah ces gens alors ! Ils sont bien cons dans
l’ensemble mais heureusement que vous êtes là.
Et quelle chance ils ont dans un pays qui garantit
la liberté de la presse de pouvoir vous lire, vous écouter, vous admirer, vous
voir couper toutes les files et entrer gratos partout, avoir les meilleures
tables dans les restos.
Mais ces gens que nous sommes devons assumer notre
part de responsabilité dans cette situation. Nous vous lisons, regardons,
écoutons, et surtout, croyons.
Nous ne sommes pas raisonnables non plus !
Avons-nous
raison de vous croire ?
La question se pose déjà dans la mesure où il existe
une presse militante qui nous raconte donc ce qu’elle veut.
Le syndrome du comptage de manifestants par les
organisateurs et par les forces de l’ordre.
Mais au-delà de cet aspect partisan plutôt bon signe
pour une société, la question de la fiabilité de l’information se pose tout
court.
Et le problème que nous avons nous, les gens, c’est
que nous n’en savons pas assez pour douter, alors devant l’aplomb du
journaliste, nous nous inclinons.
Et pourtant, pour peu que l’on soit un peu
spécialiste d’un domaine, on se rend compte du nombre d’inexactitudes qui
truffent les articles et reportages.
Prenez par exemple un fana de foot, il a souvent de
quoi être particulièrement étonné de la manière dont son sujet de prédilection
est traité dans la presse non spécialisée.
Et ça lui donne donc bien entendu de la matière pour
réfléchir à ce qu’on lui raconte dans les domaines dont il ignore tout.
Pourquoi dans la presse généraliste un article sur
le sport serait plein d’erreurs et d’informations inexactes, et un article sur
la politique ne le serait pas ?
Exemple d’à peu près journalistique qu’un amateur de
sport retrouve dans les articles de presse non spécialisée transposé à la
politique internationale :
« En Turquie, la chausselière allemande Angela
Merthel a rejoint la réunion du G20 et s’est notamment entretenue avec le
Président italien Bernasconi au sujet de leur prochaine rencontre à
Dniepsortepkovsk en Ukraine » (pour ceux qui l’ignorent, le vrai nom est
Dniepropetrovsk, mais pour ça il faut s’intéresser au foot). »
Choquant ? pourtant le fan de foot retrouve ce
type d’erreurs sur les noms de joueurs, de clubs, de villes, en permanence.
Le journalisme doit donc rester une affaire de
spécialistes.
Définition officielle du
journaliste source Petit Robert:
Celui qui fait, publie un journal
Personne qui collabore à la rédaction d'un journal.
Personne qui s'occupe de l'information dans un système de médias
Définition non-officielle :
Un journaliste
est une personne qui passe sa vie à raconter, à analyser, à juger, à noter, à
critiquer ou encenser ce que font les autres, alors que lui ne fait rien de
particulier de sa vie puisqu’il la passe à raconter ce que les autres font de
la leur, de vie. Alors le journaliste il n’a pas le temps. Forcément. Il n’a
pas le temps d’essayer de faire une fois dans sa vie ce que tentent de faire le
mieux du monde ceux qu’il passe sa vie à observer et à critiquer.
Mais, comme je l’écris souvent dans ce recueil,
pourquoi pas. C’est important les observateurs. Secondaire mais important.
Mais alors comment peut-il devenir aussi important
dans notre société puisque ce n’est pas lui qui fait ? C’est
malheureusement lui qui décide de ce que l’on va devoir penser des gens qui
font.
Et pourquoi
avoir envie de faire ce métier et donc de dédier sa vie à l’observation de
l’autre pour trouver des trucs à raconter ?
A l’heure du grand bilan de la vie, à 80-90 ans, on
se dit quoi ? Qu’est ce que j’ai fait de ma vie ? moi ? rien du
tout mais alors qu’est ce que j’en ai vu, d’autres, réussir à faire quelque
chose de la leur, de vie ! Mais moi non. Je n’ai rien accompli de
particulier.
Je n’ai jamais été un grand sportif, jamais été un
politique, jamais été un homme d’action, jamais été un créateur de mode, un
chef cuisinier, jamais jamais rien. Je me suis contenté de raconter ce que
faisaient les autres.
Waouh, il va être sur le cul Saint Pierre quand vous
allez lui raconter que vous avez connu le meilleur moment de votre carrière
quand vous avez surpris Snoop Doggy Dog rouler une pelle à Jennifer Lopez sur
un Yacht (prononcez Yote, pas yachte, je sais pas pourquoi c’est comme ça,).
Ou alors que vous avez réussi à prouver que le
ministre de je ne sais quoi s’est fait payer des vacances par un gros chef
d’entreprise. Ouh la laaaaaaaaaa !!!! c’est maaaaaaaaal !!!!
Heureusement qu’il y a les journalistes pour dénoncer ces énormes scandales
scandaleusement scandaleux qui méritent d’être passés à la moulinette de la
bonne morale républicaine portée par le nouveau dogme journalistique !
Moi à la place de Saint Pierre, je pousse à coup de
pieds au cul l’Abbé Pierre ou Winston Churchill de leur place pour que vous
puissiez vous y installer !
Ce long préambule avait pour but de conseiller à nos
jeunes ambitieux de tenter leur chance ailleurs.
Si cela n’a pas suffit, si certains y croient
encore, rentrons dans le dur par catégorie de journaliste : et faites vos
courses !
Nous allons ensemble traiter chaque catégorie de
journaliste car quand une personne souhaite être journaliste, elle doit savoir
à peu près dès le départ si elle préfère les défilés de mode aux conflits
internationaux. Comme ça il y en a pour tout le monde.
Journaliste
sportif :
Alors là vous pouvez y aller. Journaliste sportif
est une mission extraordinaire à condition bien entendu d’aimer le sport…et les
sportifs.
Etre
journaliste sportif présente plusieurs avantages :
Tout d’abord, le journaliste sportif est rarement un
sportif frustré, c’est un vrai passionné. A aucun moment il a hésité entre une
carrière de grand sportif ou le journalisme. Ce qui lui confère une position
extrêmement favorable car dans sa plume ne ressort jamais une quelconque
aigreur ou une jalousie envers ceux et celles qu’il admire. Contrairement à un
critique littéraire, un critique cinéma, art ou musique.
Ensuite, un journaliste sportif voyage énormément.
Des plus beaux stades de foot aux plus mythiques courts de tennis, des plus
impressionnantes arènes de rugby aux routes interminables des tours cyclistes.
Europe, Afrique, Amérique, Asie, Océanie, le journaliste sportif parcourt le
monde entier , généralement dans des conditions plutôt agréables, et sans
prendre le moindre risque.
Le plus souvent, un conflit ou un danger provoquent
l’annulation de la compétition sportive devant se dérouler sur les lieux
concernés, et donc les journalistes sportifs rentrent à la maison.
Vous verrez que la condition de Grand Reporter est
bien moins enviable puisqu’eux, pour le coup, ne voient pas la queue d’un match
de foot et sont à la merci des snipers et autres polices politiques.
Maintenant ne nous emballons pas.
Tout journaliste sportif ne se fait pas payer 10
jours à Buenos Aires pour suivre les exploits de l’équipe de France de Tennis
en goguette de Coupe Davis en Argentine. Dix jours à passer ses journées en
compagnie de gens plutôt éduqués et sympathiques, et ses soirées dans des bars
branchés en compagnie de splendides porteñas
offertes au conquistador gaulois prêt à troquer macbook, dictaphone, carnet et stylo pour tango endiablé,
asado pimenté, maté aphrodisiaque et dulce de leche au nom évocateur.
Dans le journalisme sportif comme dans la vie, il y
a beaucoup d’appelés et peu d’élus.
Car la vie de
journaliste sportif peut vite tourner au cauchemar si par malheur vous entrez
dans une des 2 catégories suivantes :
Vous traitez un sport qui n’intéresse que vous : exemple :
l’aviron. Là, c’est la catastrophe. Vous passez votre vie au bord de plans
d’eau à regarder des types ramer, à 2, à 4, à 8, avec ou sans barreur, se tirer
la bourre sur un lac sans intérêt dans des stations balnéaires de retraités
pour qui le sport s’est arrêté à Mimoun et Kopa.
Vous devez ensuite gratter
des papiers sur ce que vous avez vu en vous enthousiasmant, avec comme perspective les prochaines
olympiades où vos champions tenteront de briller un mardi matin vers 11h avec
une vingtaine de téléspectateurs devant leur écran.
Et à l’arrivée, soit vous
avez droit à un entrefilet dans le journal du jour, soit vous avez droit à rien
du tout parce que votre sport tout le monde s’en fout.
L’avantage est
l’accessibilité des champions dont vous avez tout loisir de recueillir les
impressions vu que c’est pas la cohue de journalistes à l’arrivée des
courses . Autre avantage, si vous avez un record du monde battu ou un
français qui gagne un championnat du monde, vous pourrez être en page 12 ou 13
de l’Equipe.
Et dans l’Equipe Mag, vous
ressortez chaque année votre double page sur le duel mythique entre Oxford et
Cambridge. Et en plus depuis quelques années vous pouvez même raconter que Hugh
Laurie, le célèbre Dr House, y a participé en 1980.
Ça fait léger quand même.
Vous êtes journaliste à la télé ou à la radio et vous devez vous
coltiner un consultant.
Le consultant présentera à
vos yeux déjà un inconvénient majeur : il n’a pas le diplôme. Mais bon, ce
défaut est compensé par le fait que le consultant est un sportif célèbre à la
retraite , et donc une étoile que vous avez pu admirer voire idolâtrer comme
des milliers d’autres personnes et qui se retrouve à vos côtés.
Classe quand même.
Le problème c’est qu’aussi
star fut-il, le consultant n’en reste pas moins un ancien sportif , qui plus
est très sûr de lui car abonné au succès et à la complaisance de son entourage
quels que soient les propos qu’il puisse tenir. Et donc le plus souvent au
bagage culturel proche du néant et au champ sémantique qui ne ferait pas rougir
un élève moyen de CM1. (A quelques
exceptions près dont à ma grande surprise un ancien joueur très marseillais
aussi detestable sur le terrain qu’agréable, coherent, juste, drôle et
sympathique au micro.)
Et pourtant, il va falloir
non seulement que vous soyez collé à lui lors des directs (mais là, passe
encore, son analyse et son expérience peuvent servir), mais aussi en dehors, dans les hôtels,
les restaurants, avec les autres journalistes, et pourquoi pas à dîner chez
vous lorsque vous rentrez à la maison. Il devient un ami obligé. On ne refuse
pas son amitié à un champion du monde. Ce n’est pas possible.
Alors vous vous
dites « ok, je fais avec ». Sauf que lui, il fait bien plus qu’avec,
quand on est ami, c’est comme sur les bancs d’un collège qu’il n’a que peu fréquentés,
c’est à la vie à la mort, on crache par terre et on s’échange le sang. Il vit
enfin ces amitiés d’ados auxquelles il n’a pas eu droit, trop pris par son
destin.
Et l’ami, le poteau, le
Brother, le frère d’armes et de sang, celui à qui on apprend un peu la vie, le
frère quoi, comment lui refuser une virée dans des bars à putes de Berlin ou
Prague ? il s’agit d’un champion du monde, votre nouvel ami, si vous lui
refusez ça, il va être triste. Et vous serez plus son copain. Il ne vous
causera plus. Il refusera de faire le consultant.
Et allez expliquer à votre
rédacteur en chef que le type qui a fait rêver la France est en fait un super
lourd totalement idiot et que vous ne supportez plus de vous le trimballer
partout. Qui va se faire virer à votre avis ?
Donc si vous êtes fans de
sport, incapables d’en pratiquer un, que vous souhaitez assister à des
compétitions dans le monde entier et avoir votre petit pouvoir auprès de jeunes
sportifs avides de notoriété, allez-y.
Mais n’espérez pas faire
fortune ou vivre une élévation intellectuelle puissante, ça, vous ne l’aurez
pas.
Mais ça, c’est affaire de
choix.
Grand reporter
Lui ou elle pardon, grand reporter est aussi une
fonction qui s’est féminisée. Il n’y a en effet aucune raison que ce soit
toujours les mêmes qui en prennent plein la tête.
Grand reporter, c’est l’essence même du journalisme,
un journalisme épique, un journalisme d’aventures, de découvertes, de dangers.
C’est Tintin, c’est le prix Albert Londres, c’est un mythe !
Nous parlons là d’un journalisme de prestige , un
grand reporter sera toujours la star des dîners en ville. L’idole des
« Salonards » comme les appelaient Drieux.
« Quelle chance de l’avoir avec nous alors
qu’il est toujours entre deux Tupolev jamais révisés en partance pour le
Pakistan ou les terres à feu et à sang de Haute Volta ou de Guinée
équatoriale ! Allez, raconte ! racoooonte !!! et reprends
du gratin, tu as dû tellement manquer là bas !»
Quel bonheur de l’écouter nous narrer ses aventures
extraordinaires et nous distiller ses vérités sur des conflits qu’il vit chaque
fois qu’il pose un de ses pieds bénis sur une terre hostile !
Car le propre du grand reporter est d’avoir toujours
raison. Et qui irait le contredire ? Qui irait contredire quelqu’un qui
,lui, a eu le courage d’aller sur place voir ce qui se passait ? Qui
suis-je moi, homme de pas grand chose qui me contente parfois de réfléchir 5
minutes à ce qui m’entoure, pour oser dire à un type qui s’est fait canarder
par des blacks à bloc qu’il n’a peut-être pas une vision très juste de la
situation ?
Le type peut revenir du moyen orient en racontant
que les méchants ce sont les israéliens ou les palestiniens, et nous dire qu’il
est mieux placé que personne pour raconter ça puisqu’il a vécu 5 jours avec une
des deux parties et qu’il a bien vu les agressions de l’autre. Qu’est ce que
vous voulez dire à ça ?
Et pourtant, on peut être sur le terrain et se
tromper non ?
C’est d’ailleurs souvent là qu’on se trompe le plus.
Mais lui, le grand reporter, a le courage d’aller
dans les endroits les plus chauds de la planète pour montrer au monde ce qu’il
se passe.
Et encore un qui se sent investi d’une mission …
encore une profession pour prophètes amateurs en mal de reconnaissance et
d’égo. C’est quand même pas possible le nombre de métiers dans lesquels on
s’engage pour satisfaire un égo mal placé !
Le grand reporter ne peut-il pas simplement avouer
qu’il fait ça parce que ça le fait kiffer d’aller dans des zones où ça craint,
que de se faire tirer dessus et de vivre avec des coupeurs de tête ça l’excite,
et que finalement, le seul moyen de vivre de ce genre de passion c’est d’être
grand reporter ? ou militaire ? Et encore, c’est mieux grand reporter
parce qu’on les choisit ses guerres. Alors que le militaire, si on lui dit de
shooter des afghans, il est obligé de le faire, même s’il préfèrerait scalper
les autres.
Le grand reporter choisit son camp et revient
toujours avec de belles images de fraternité et de complicité avec les guerriers
du monde entier qui ne sont en fait que des hommes en souffrance.
Il se fait clairement plaisir le mec ! Pourquoi
se sent-il obligé de nous resservir la soupe de la mission d’information
indispensable pour que les gueux que nous sommes soyons au courant de la
vérité ?
Si c’est pas pour satisfaire un égo insupportable
ça !!!!
Mais enfin, on ne peut pas reprocher des
débordements d’égo à des êtres humains, nous sommes faits comme ça. Et sans ces
histoires d’égos gonflés au maximum, nous n’aurions pas eu les grands hommes et
les grandes femmes qui ont marqué notre histoire. Je parle des vrais.
Donc Grand Reporter, pourquoi pas.
Maintenant il faut savoir ce qu’est la vie du grand
reporter au quotidien pour savoir si on veut s’y coller.
Le grand reporter arrive donc sur site au moment
pile où le journaliste sportif se tire vite fait. Ils se croisent même parfois
à l’aéroport :
« Tiens salut Jean-Louis comment ça
va ? »
« Ben pas mal sauf que ces cons avec cette
révolution ils nous ont annulé les demi-finales et la finale ! vraiment
des pays de merde ! »
« Et ça se passe comment là en ville ?
c’est chaud ? »
« J’en sais rien, nous on était peinards à
l’hôtel, on a vu que les militaires fermaient le stade , 2-3 chars dans les
rues et un mec immolé sous notre
fenêtre pendant qu’on était au petit dej alors on a remballé vite fait, et ça
tombe bien parce que de toute façon, dimanche soir on est à Sochaux pour les ¼
de la coupe de France »
« Ah ouais ? ils ont fermé le
stade ? »
« Je te jure que je vais pleurer tellement ils
respectent rien. Les mecs te ferment le stade et empêchent le déroulement d’un
match pour séquestrer 2000 opposants et les zigouiller par groupes de
5 ! »
« Génial ! j’y vais ! »
« Mais y a plus de match je t’ai
dit ! »
« Jean-Louis, on a la même carte de presse,
mais on fait pas le même métier »
« Tu m’étonnes… Allez salut, je penserai à toi
chaque jour en fin de journal avec ta photo et ton nombre de jours de
détention ! warf ! warf ! warf ! Allez salut
Ducon ! »
« Salut Jean-Louis » (le grand reporter,
il ne déconne pas lui, il est sérieux, il ne plaisante pas , il appelle pas les
autres « ducon » lui, il laisse ça aux sportifs, leur mission n’est
pas messianique à eux !)
Ce qui est sûr, c’est que le journaliste sportif, il
ne risque pas d’être en photo à la fin des JT !!!
Alors que le grand reporter…mmmmiammmm…quel kif
quand on est enfermé dans une geôle au fin fond d’un désert hostile, après
avoir posé bâillonné et à genoux au pied d’une rangée de guerilleros armés de
kalachnikovs et de coupe-coupes, de s’imaginer en photo en fin de JT !
C’est pour ça qu’on fait ce métier !
S’imaginer cité par les plus hautes instances
politiques du pays qui tentent à coups de millions d’obtenir notre libération
auprès de ravisseurs assoiffés d’idéaux et surtout de dollars !
S’installer au cœur des sujets de conversation de
toute la profession en étendard d’une éthique et d’une mission. C’est ça
l’aboutissement de la carrière de grand reporter en fait, être pris en otage.
Marcel Carton, Marcel Fontaine, Jean-Paul Kauffman,
Roger Auque, Florence Aubenas, Aurel Cornea, Christian Chesnot, Georges
Malbrunot. Pour être célèbre, il faut avoir été otage. Sinon on reste dans
l’ombre. Vous les connaissez les autres vous ? Non, personne n’en connait
un seul.
Et donc, après avoir été otage, quand on rentre,
après avoir joué la curiosité de plateaux télé, avoir fait le mec un peu
déphasé, sorti un livre à la promo minutieusement orchestrée, on se fait nommer
correspondant permanent à New York ou Los Angeles, avec un gros appart’ de
fonction, un traitement d’expatrié et des reportages sur tout ce qui se fait de
cool aux States.
Allez, 300 jours de captivité à bouffer du couscous
et dormir sur un futon pour 20 ans peinard en exil doré…franchement, ça vaut le
coup.
Attention quand même, c’est rare, mais il arrive que
ça se passe mal.
Je reprends la démonstration parce que c’est
vraiment un point clé pour réussir dans ce métier :
vous avez réussi votre parcours jusqu’au bout :
diplôme, contrat, reportages sans intérêt en maraude avec des bénévoles de la
croix rouge, petits déplacements et enfin, vous obtenez de votre rédac’chef la
zone à risque. Yessss !!!!!!!!
Pour vous c’est bon, vous allez y aller une première
fois repérer les lieux. Voir là où on peut se faire enlever sans trop risquer.
Ensuite vous y retournez pour le grand jour. Le jour où vous allez vous faire
kidnapper. Tout est réglé avec le chef de la tribu rebelle. Tout, jusqu’à la
focale de l’appareil pour la photo de groupe.
Alors vous êtes sur une piste désertique, dans votre
véhicule tout terrain, avec votre cadreur, et surtout, vos 2 accompagnateurs,
ceux qui ne vous voleront pas la vedette puisqu’on ne les cite jamais autrement
que « avec leurs 2 accompagnateurs ». Donc ils font partie de l’histoire.
Quel journaliste irait se promener sans ses accompagnateurs ? Quel intérêt
d’être pris en otage sans accompagnateurs ? Vous en conviendrez,
aucun !
Vous imaginez en fin de JT ? « Marcel Poulard et son compagnon
Maurice Ploucos, retenus en otage depuis 234 jours… »
Et alors ? ils sont tout seuls ? ils n’ont
pas d’accompagnateurs ? Pas crédible, donc il faut les accompagnateurs.
C’est dans le package.
Et là, au détour d’une piste , ouh la
laaaaaa !!! des rebelles ! mince alooooors !!!! Comment ça se
fait que dans une zone à risque infestée de rebelles, alors que je me ballade
tranquillement avec 10 000 euros de matos et un passeport qui peut valoir
autour du million en rançon , comment est-il possible que des méchants rebelles
me kidnappent ?
Panique des accompagnateurs, ils sont pas au courant
eux de l’arrangement passé avec le chef rebelle : “Rançon contre célébrité et retraite dorée”.
Donc tout roule, la geôle, la photo,
l’enregistrement où on vous force à dire que les rebelles voient juste etc…
Si tout va bien, au bout de quelques mois, on vous
relâche, le Bourget, la famille, les caméras, les ministres, les plateaux télé,
et donc le poste à New York avec les enfants au lycée français et la good life
intégrale .
Mais pour peu que pendant une nuit , de votre geôle,
vous entendiez du remous à l’extérieur, il se peut que votre pote le rebelle se
fasse zigouiller, et que le nouveau soit bien moins conciliant et bien moins
prêt à jouer à Disneyland Talibans ! Et là c’est le drame, parce qu’avec
vos conneries de vouloir briller dans une zone à risque alors que vous avez une
femme et des enfants, vous vous retrouvez en une du journal avec le nouveau
chef rebelle qui tient votre tête détachée de son tronc à bout de bras. Et là,
je peux vous garantir que vous faites moins le malin !
Journaliste de
mode
Les ressorts du journaliste de mode sont à peu près
les mêmes que ceux qui guident le journaliste sportif.
Il s’agit d’une affaire (c’est le cas de le dire) de
passion.
La passion du beau, la passion du luxe, la passion
du talent.
Et même si je ne suis pas un fin connaisseur de la
chose couturière, je dois malgré tout reconnaître que les créateurs de mode
sont parfois des artistes. Et qu’à ce titre, ils méritent l’attention qu’on
leur porte et parfois même les sommes astronomiques que l’on peut mettre dans
un bout de tissu confectionné par leurs soins .
Oui, ils sont des artistes. Ils font des miracles
avec du tissu, des ciseaux, du fil et une aiguille comme le peintre accomplit
des chefs d’œuvre avec quelques tubes de peinture et des pinceaux.
Alors il est tout à fait légitime que certains,
certaines d’ailleurs plus souvent, se passionnent pour cet art.
Malheureusement, le métier de journaliste de mode ne
se limite pas à la découverte de merveilles sorties tout droit de l’imaginaire
de créateurs géniaux.
Pour se faire une place au soleil, il faut passer
par un nombre impressionnant de morpions insupportables :
Attachées de presse, suiveuses, modistes, chasseurs
de tendance, mannequins, pétasses friquées invitées à dépenser l’argent de
leurs maris en robes « one use only », gens de cinéma, de télévision,
bref, tout ce que Paris fait de rats et de suiveurs.
Et de cocktail en réception vous entendrez les
sempiternelles remarques débiles « elle est si bêêêllle »,
« quelle collection, ces fleurs ces tons », « quelle maigreur
chez ces filles ! », « quelle audace chez ce créateur »,
« t’as vu Deneuve au premier rang ? elle a pris non ? »,
« attends, je suis très amie avec la rédactrice en chef de Vogue »,
« Vogue US ou Vogue France ? » ; « pffff, Vogue
Japon of course ! ».
Jouer du coude pour atteindre le premier rang des
défilés, se faire voir, se montrer, interviewer les créateurs et les
créatrices, se pavaner devant de jeunes espoirs sans espoir. Vivre par
procuration la vie de ces mannequins surpoudrés du visage aux sinus. A priori,
c’est pas une vie, maintenant, si votre épanouissement passe par ce type de
milieu , inclinons-nous, mais attention, même si elle est internationale et
dorée, la routine des collections et des défilés peut vite devenir
insupportable.
Journaliste
pages consos :
Je ne vais pas m’étaler sur ce type de journalisme
qui quoiqu’il arrive ne justifie pas d’avoir fait ne serait-ce que 6 semaines
d’études de journalisme.
Un journaliste de pages consos se reconnaît à son
bureau.
C’est un peu la foire à tout du marché du coin.
Du presse-purée au tapis souris ergonomique
dictaphone, toutes les conneries s’accumulent sur le bureau.
Aucun intérêt à moins de décrocher ce boulot vers 12
ans. Là oui ça vaut le coup !
Journaliste pages consos, c’est nul. A part pour nos
pauvres attachées de presse, obliges de se les coltiner. Nous pensons à vous.
Journaliste
people :
Le journaliste people est un peu trop décrié.
Parce qu’entre nous, il prend à peu près les mêmes
risques que le grand reporter dans la mesure où il peut se recevoir des
avoinées de gardes du corps ou de peoples pas contents, des sévères qui
l’envoient à l’hopital ! Il peut tomber d’un arbre où il était caché, il
peut faire un malaise en fouillant les poubelles de stars, il peut avoir des
accidents de scooter en poursuivant un candidat malheureux à un télé-crochet,
il se met vraiment en danger le journaliste people.
Sauf que lui, quand il se fait casser la gueule ou
qu’il se fait écraser par une voiture et qu’il meurt, tout le monde est
d’accord pour dire qu’il l’avait bien cherché et que c’est bien fait pour sa
gueule ! Pas de JT, pas d’hommages, pas de ministre, pas de photo de la
famille, pas de cercueil au Bourget, rien du tout !
Alors qu’il a juste fait comme le grand reporter.
Après il s’agit juste d’une échelle de
valeurs : Doit-on considérer que débusquer un chef de guerre au fin fond
de l’Afghanistan pour se render compte en fin d’histoire que le type était en
fait acheté par les rouges ou les blancs est plus valorisant et prestigieux que
de surprendre un footballeur au
sortir d’un bar à putes ? Mouais,
à voir. Si le journaliste est là pour vraiment raconter des histoires qui
passionnent le public, alors il ne faut pas tirer de conclusions trop hâtives.
En tout cas, si vous voulez que tout le monde vous
méprise pour votre métier de fouille-merde, allez-y, foncez. Mais si vous avez
un minimum d’estime pour vous même, optez pour autre chose.
Journaliste
voyages :
Voilà, il est là le bon plan ! Journaliste
voyages ou tourisme !
Votre job ? tester tous les nouveaux hôtels,
tous les nouveaux sièges classe affaire de toutes les compagnies du monde, tous
les services les plus luxueux juste pour écrire quelques lignes sur le nouveau
resort de Bora Bora ou des Maldives, la dernière dépose en hélico sur les
montagnes les plus belles du monde, essayer les trucs les plus incroyables et
visiter les zones les plus extraordinaires du globe.
Nicolas Hulot avec Ushuaïa, à côté, c’est un barreur
de péniche entre Le Havre et Asnières !
Votre vie ? les lounges d’aéroports, les plus
beaux hôtels, les plus belles plages, les meilleures tables , votre vie, ce
sont des vacances.
Je fais un écart dans cet ouvrage qui vise
essentiellement à vous décourager d’exercer un métier, mais là, foncez !
Saauuuuuuf….sauf si vous avez une famille.
Le jour où votre mari , qui trime comme un malade
dans une boîte d’informatique, rentre à la maison et vous annonce :
chérie, le week end prochain, je t’emmène à New York pour un week end en amoureux
dans un nouvel hôtel exceptionnel !
Si vous tenez à votre couple, ne lui répondez
pas :
« Oh non s’il te plaît, pas New York, pas
d’hôtel, tu préfères pas qu’on aille passer 3 jours chez ta mère dans
l’Yonne ? »
Il pourrait mal le prendre.
Donc journaliste voyage, oui, mais pas de famille.
C’est une contrainte. Mais dans la vie, faut faire
des choix !
Bon ça va
aller pour les journalistes, après, pour ne pas avoir à développer toutes les formes de
journalisme, je peux dire si je veux qu’on ne rêve pas de devenir journaliste
politique à se cogner les serreurs de louches toute la journée, à copiner avec
ces séducteurs gros niqueurs sportifs, ni journaliste économique à se taper des
listes entières de cours de bourses chaque jour, on peut vouloir devenir
journaliste de musique ou de cinéma, si on peut en vivre pourquoi pas, ou
critique littéraire, catégorie dont je ne dirai pas de mal, ils s’en chargeront
le cas échéant pour moi. Sans nul doute.
Mais dans l’ensemble, plutôt que de raconter la vie
des autres et d’essayer d’en croquer un peu, tentez l’aventure dans des
disciplines dont vous serez les acteurs principaux . Et ne vous contentez pas
comme aboutissement de votre carrière d’être invités sur un plateau télé
entourés d’autres éminents éditorialistes pour vous écouter parler et vous
persuader vous même que votre parole est utile pour le monde.
C’est d’un chiant pour les autres !
Mais à ce moment là, les autres, ça fera bien
longtemps que vous ne leur accorderez plus la moindre importance.
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